La prochaine crise que vous ne voyez pas venir : le Caucase du Sud

23 novembre 2015
la prochaine crise
Ventes d’armes outrancières, conflit latent, intérêts internationaux fortement divergents : trois ex-ambassadeurs américains tirent la sonnette d’alarme sur le Sud Caucase. Pour eux, c’est dans cette région qu’éclatera le prochain grand conflit, tandis que tous les regards convergent aujourd’hui vers la Syrie.

L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie font rarement la manchette des journaux américains. Ces trois pays affrontent d’incroyables difficultés que les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre d’ignorer.

Denis Corboy, Richard Kauzlarich, Kenneth Yalowitz* publiaient conjointement, le 17 novembre, une analyse synthétique de la situation au Caucase, dans le magazine américain consacré aux affaires internationales, The National Interest.

Paris et la Syrie partagent aujourd’hui les manchettes des journaux, mais l’évolution préoccupante de la situation dans le Caucase du Sud devrait nous faire tirer la sonnette d’alarme quant au risque de guerre. Les pays de la région – l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie- ont choisi des chemins de politique intérieure et étrangère divergents, mais tous subissent des pressions intenses de la Russie qui souhaite étendre son influence. L’Occident devrait agir dès maintenant pour diminuer la probabilité d’une nouvelle guerre et plaider pour un plus grand pluralisme politique.

Les préoccupations les plus graves concernent les évolutions internes à l’Azerbaïdjan et les perspectives d’une reprise des hostilités entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabakh, une région peuplée et militairement contrôlée par les Arméniens mais situé en Azerbaïdjan.

Durant les derniers dix-huit mois, l’Azerbaïdjan a régulièrement réprimé les libertés de la presse, des médias et les droits humains fondamentaux. Les élections législatives truquées, le 1er Novembre ont permis une majorité écrasante pour le parti au pouvoir et ses satellites excluant l’opposition : il n’y avait aucune surveillance crédible. L’OSCE et le Parlement européen ont annulé leur mission puisque le gouvernement ne leur a pas permis de fonctionner selon les normes internationales.

Les voix de l’opposition sont emprisonnées ou exilées, le seul rayon de lumière étant le récent transfert de prison en résidence surveillée de l’éminent militant des droits de l’homme, Arif Yunus, pour des raisons de santé. Les appels internationaux pour la libération de sa femme Leyla Yunis, d’Ildar Mammadov et d’autres prisonniers politiques sont tombés dans des oreilles de sourds. Le discours officiel anti-occidental et pro-russe, s’intensifie et met l’accent sur les efforts présumés de l’Occident, en particulier des États-Unis, à faire se répéter à Bakou le soulèvement populaire ukrainien de Maidan.

Avec des prix du pétrole et du gaz en chute, le budget de l’Azerbaïdjan prend un coup, le système bancaire est en crise en raison de prêts douteux à des partisans du régime, et la spéculation sur une nouvelle dévaluation de la monnaie est omniprésente. La récente éviction du puissant Ministre de la Sécurité et de quatre-vingts de ses collègues, et du ministre des Communications sur fond de corruption massive sont des signes de division dans le cercle du président autocratique Aliyev et mettent en évidence son manque de contrôle sur les ministères clés de la sécurité. Parallèlement, la situation sur la ligne de cessez-le feu avec l’Arménie au Haut-Karabakh menace de se détériorer, le nombre de décès de tireurs et celui des attaques avec des armes sophistiquées augmentent. Les efforts de paix bilatéraux et internationaux restent gelés puisque les dirigeants respectifs ne font aucun effort pour préparer leurs citoyens à un compromis et Moscou joue double jeux avec les livraisons d’armes. Un des principaux risques est une escalade majeure résultant d’une série de petits affrontements, un scénario qui pourrait abimer la popularité d’Aliyev et qui le pousserait à avoir recours à une frappe militaire pour unifier la nation. Aliyev, bien sûr, doit prendre en compte le pacte de défense de l’Arménie avec la Russie et la probabilité d’une défaite militaire. Pourtant, il se sert de la paranoïa, du populisme, des imposantes grèves pour renforcer le soutien populaire. Il a également sapé le processus de paix, le seul espoir du Groupe de Minsk de l’OSCE d’une résolution pacifique du conflit du Haut-Karabakh.

La situation politique arménienne est relativement calme. Après avoir fait le saut, sous la pression russe, de rejoindre l’Union économique eurasienne (de EEU) en lieu et place d’un accord d’association avec l’UE, l’Arménie et l’UE en sont maintenant à entamer des négociations pour sauver une partie de l’ancien accord d’association et de le concilier avec l’adhésion de l’Arménie à l’EEU. Cet effort d’Erevan de maintenir un certain équilibre dans sa politique étrangère et d’accéder à un marché riche peut encore rencontrer des difficultés avec la Russie. Sur la question du Haut Karabagh, l’Arménie conserve un discours hostile. En même temps qu’il poursuit la guerre avec l’Azezbaïdjan, l’Etat sape son économie, renforce son système politique semi-autoritaire et offre à la Russie une prise sur le conflit du Haut-Karabakh.

La réputation de la Géorgie en tant que chef de file des ex républiques de l’URSS s’engageant sur la voie de la démocratie et des réformes judiciaires est maintenant remise en cause.

La question immédiate est une bataille sur la propriété et le contrôle de Rustavi 2, une chaîne de télévision indépendante et principale voix critique médiatique de l’actuel gouvernement au pouvoir, celui de Georgia Dream.

La manœuvre juridique a été tout sauf judiciaire, solide et transparente. Un tribunal statuant en milieu de nuit, en contradiction avec la Cour constitutionnelle a rendu la station au propriétaire précédent, qui soutient le gouvernement. Ce dernier fait valoir qu’il avait été forcé par le gouvernement précédent, celui du président Mikheil Saakashvili, à vendre son actif à un prix dérisoire. Le dernier événement concerne la modification de la décision initiale du tribunal qui maintient maintenant le contrôle de la station aux propriétaires actuels jusqu’à ce que leur processus d’appel soit terminé.

Beaucoup en occident et en Géorgie voient cet abus judiciaire évident comme une attaque directe à la liberté de la presse, à un moment où la popularité du gouvernement est en baisse en raison de la faible performance économique de la Géorgie

Pour épaissir l’intrigue, de prétendues conversations téléphoniques entre M. Saakachvili, maintenant gouverneur de la région d’Odessa en Ukraine, et plusieurs de ses partisans en Géorgie ont été interceptées. Les enregistrements invitaient à utiliser la question Rustavi 2 pour développer un scénario “révolutionnaire” contestant le gouvernement actuel. Les élections législatives auront lieu en Octobre 2016, et justement en ce moment, la majorité des électeurs est indécise.

*Denis Corboy était Ambassadeur de la Commission européenne – Richard Kauzlarich était ambassadeur américain en Azerbaïdjan et en Bosnie-Herzégovine – Kenneth Yalowitz était ambassadeur américain en Biélorussie et en Géorgie.

http://nor-haratch.com/

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