le jeudi 3 janvier 2019
Alors que 2019 démarre, le sentiment qui prévaut à propos de l’Arménie est que jamais sans doute depuis sa déclaration d’indépendance elle n’a abordé une nouvelle année avec un tel sentiment de liberté. Tant mieux, car elle n’aura pas trop de ce regain d’énergie pour faire face aux défis qui l’attendent.
Parce que si l’année 2018 s’est avérée particulièrement prolifique sur le plan politique en permettant la levée de la majeure partie des hypothèques démocratiques qui pesaient sur le pays, aucune de ses difficultés objectives ne s’est pour autant évaporée comme par magie. Notamment au niveau économique avec des ressources naturelles qui demeurent lacunaires, et sur celui de sa sécurité avec un emplacement géopolitique particulièrement hostile sur ses flancs orientaux et occidentaux.
La révolution ne dispose hélas pas du pouvoir d’agir sur cette donne et de changer le plomb en or. Elle ne l’a d’ailleurs jamais prétendue. Même si ses effets se sont tout de même fait sentir, et d’une manière plutôt positive, sur le rayonnement international de l’Arménie, comme en témoigne la décision du prestigieux hebdo britannique The Economist, de la désigner pays de l’année 2018.
Au-delà des satisfécits d’ordre honorifique, reste cependant à savoir si ce formidable bond en avant démocratique sera en mesure de générer au niveau diplomatique des dividendes concrets pour sa sécurité, laquelle passe par la neutralisation des menaces azerbaïdjanaises sur l’Artsakh. Rien n’est hélas moins sûr. Dans ce monde de plus en plus cynique, il n’existe pas de prix vertu pour les nations méritantes.
Le bon élève du Caucase pourra bien caracoler cette année en tête de tous les classements sur les droits de l’homme dans la région, il n’en récoltera que peu de bénéfices en terme de solidarité dans sa problématique avec les forces génocidaires du panturquisme. Et ce, quand bien même le régime Aliev continuerait-il à s’enfoncer dans la dictature, comme il le fait, tandis que son frère jumeau d’Ankara, s’entêterait-il dans une fuite en avant aussi obscurantiste qu’autoritaire, comme il s’y emploie.
Ce contraste saisissant entre l’Arménie et ses ennemis néoottomans qui conspirent à sa perte, ne pèse visiblement d’aucun poids pour les puissances, y compris occidentales, qui sont pourtant les principales pourvoyeuses des valeurs auxquelles elle se rattache. En témoigne, entre autres, le fait que c’est à elle, encore à elle et toujours à elle que l’on demande de faire des concessions, des efforts sur la question de l’Arstakh.
Et qu’importe si la tendance quasi revendiquée des boulimiques du panturquisme, qui ont usurpé la majorité des territoires historiques de l’Arménie à coup de massacres, est de réaliser leur jonction territoriale sur ce qu’il reste de sa géographie. Qu’importe si l’injustice est criante, et que lesdites grandes puissances ne s’avèrent pas plus enclines à honorer aujourd’hui leur dette morale envers la nation arménienne, qu’elles ne l’ont été après le génocide impuni.
Les propositions des États-Unis formulées le 25 octobre dernier à Erevan par John Bolton, constituent une parfaite illustration de cette triste débâcle de la conscience. Le conseiller à la sécurité nationale de Trump, a en effet fait savoir à Nikol Pachinian, Premier ministre par intérim alors à peine installé, que son pays attendait de lui des « mesures décisives » en vue de contribuer au règlement du conflit du Haut-Karabagh. Et ce après avoir indiqué non seulement qu’il considérait l’Azerbaïdjan comme un allié stratégique des États-Unis – ce qu’il n’a pas dit de l’Arménie- mais qu’il envisageait également de lever l’embargo sur les ventes d’armes aux belligérants, afin de « réduire l’influence excessive de la Russie ».
Ainsi l’Amérique qui était le seul des trois pays coprésidents du groupe de Minsk à s’abstenir de fournir du matériel militaire aux forces en présence -ce qui était tout à son honneur- pourrait-elle, elle aussi alimenter la course aux armements lancée par le régime Aliev. Une drôle de manière de promouvoir la paix ! D’autant plus que dans ce commerce non équitable, la demande provient principalement de la pétrodictature azerbaïdjanaise. Et que la tendance naturelle est toujours de soigner les gros clients…Conflit d’intérêts, quand tu nous tiens !
Dans ces conditions, il serait évidemment bien illusoire de se fier à l’accalmie que l’on a constatée sur le front après la victoire de la révolution de velours. Si les violations du cessez-le-feu ont légèrement diminué durant cette période, jamais il n’y a eu en effet une telle concentration de matériel du côté azerbaïdjanais. Ce qui tend à prouver le caractère parfaitement artificiel des postures pacifiques arborées par Ilham Aliev depuis quelques mois, en particulier lorsqu’il a accepté l’installation d’une ligne directe avec son homologue arménien pour prévenir tout regain de tension sur le terrain…
C’est bien connu, le loup n’est jamais aussi dangereux que déguisé en brebis. Personne n’était bien sûr dupe. Et les Arméniens, qui ont historiquement payé au prix le plus fort le coût de trahison, moins que quiconque. Mais, sait-on jamais ?
Par Ara Toranian le jeudi 3 janvier 2019
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