14 octobre 2015
IRIB- Revenant sur l’histoire de la colonisation française de la Syrie et la comparant avec l’action des Présidents Sarkozy et Hollande, Thierry Meyssan met en évidence la volonté de certains dirigeants français actuels de recoloniser ce pays. Une position anachronique et criminelle, qui fait de la France actuelle un État de plus en plus haï, dans le monde
.Nicolas Sarkozy et David Cameron signent les Accords de Lancaster House. Ils réitèrent, un siécle plus tard, l’entente cordiale des Accords Sykes-Picot. La France est, aujourd’hui, la principale puissance, qui appelle au renversement de la République arabe syrienne. Alors que la Maison-Blanche et le Kremlin négocient, en secret, la manière de se débarrasser des Jihadistes, Paris persiste à accuser le « régime de Bachar », (sic), d’avoir créé Daech, et à déclarer qu’après avoir éliminé l’Émirat islamique, il conviendra de renverser la «dictature alaouite», (re-sic). La France est, publiquement, soutenue par la Turquie et l’Arabie saoudite, et, en sous-main, par Israël. Comment expliquer ce positionnement de perdant, alors que la France n’a aucun intérêt économique ou politique, dans cette croisade, que les États-Unis ont cessé de former des combattants contre la République, et que la Russie est en train de réduire en cendre les groupes jihadistes ? La plupart des commentateurs ont souligné, à juste titre, les liens personnels du Président Nicolas Sarkozy avec le Qatar, sponsor des Frères musulmans, et ceux du président François Hollande, également, avec le Qatar, puis, avec l’Arabie saoudite. Les deux présidents ont fait financer, illégalement, une partie de leurs campagnes électorales par ces États, et ont bénéficié de toutes sortes de facilités, offertes par ces mêmes États. En outre, l’Arabie saoudite détient, désormais, une partie non-négligeable des entreprises du CAC40, de sorte que son désinvestissement brutal causerait de graves dommages économiques à la France. Je voudrais évoquer ici une autre hypothèse explicative: les intérêts coloniaux de certains dirigeants français. Pour cela, un retour en arrière est nécessaire.
Les accords Sykes-Picot
Durant la Première Guerre mondiale, les Empires britannique, français et russe sont, secrètement, convenus de se partager les colonies des Empires austro-hongrois, allemand et ottoman, lorsqu’ils seraient vaincus. À l’issue de négociations secrètes, à Downing Street, le conseiller du ministre de la Guerre et supérieur de «Lawrence d’Arabie», Sir Mark Sykes, et l’envoyé spécial du Quai d’Orsay, François Georges-Picot, décident de partager la province ottomane de la Grande Syrie entre eux et en informent le Tsar. Les Britanniques, dont l’Empire était économique, s’approprient les zones pétrolières connues à l’époque et la Palestine, pour y installer une colonie de peuplement juive. Leur territoire s’étendait sur ceux de l’État de Palestine, d’Israël, de la Jordanie, de l’Irak et du Koweït actuels. Paris, qui était partagé entre partisans et adversaires de la colonisation, admettait, quant à lui, une colonisation, à la fois, économique, culturelle et politique. Il s’appropria, donc, les territoires du Liban et de la Petite Syrie actuels, dont près de la moitié de la population, à l’époque, était chrétienne, et dont il se déclarait le «protecteur», depuis François Ier. Enfin, les lieux saints de Jérusalem et de Saint-Jean d’Acre devaient être internationalisés. Mais, en réalité, ces accords ne furent jamais pleinement appliqués, à la fois, parce que les Britanniques avaient pris des engagements contradictoires, et, surtout, parce qu’ils entendaient créer un État juif, pour poursuivre leur expansion coloniale. Jamais les «démocraties» britannique et française ne débattirent, publiquement, de ces accords. Ils auraient choqué les Peuples britanniques et auraient été rejetés par le Peuple français. Les accords Sykes-Picot sont révélés par les révolutionnaires bolcheviks, qui les découvrent, dans les archives du Tsar. Ils provoquent la fureur des Arabes, mais les Britanniques et les Français ne réagissent pas aux agissements de leurs gouvernements.
L’idée coloniale française
La colonisation française a débuté, sous Charles X, avec la conquête sanglante de l’Algérie. C’était une question de prestige, qui ne fut jamais validée par les Français, et déboucha sur la révolution de Juillet 1830. Mais l’idée coloniale n’est apparue, en France, qu’après la chute du Second Empire et la perte de l’Alsace-Moselle. Deux hommes de gauche, Gambetta et Jules Ferry, proposent de partir à la conquête de nouveaux territoires, en Afrique et en Asie, à défaut de pouvoir libérer l’Alsace et la Moselle, occupées par le Reich allemand. Ils s’unissent avec les intérêts économiques de la droite liés à l’exploitation de l’Algérie. Comme la motivation de dérivatif à la libération du territoire national n’est pas très glorieuse, les amis de Gambetta et de Ferry vont l’enrober d’un discours mobilisateur. Il ne s’agit pas de satisfaire des appétits expansionnistes ou économiques, mais de «libérer des peuples opprimés», (sic), et de les «émanciper» de cultures «inférieures», (re-sic). C’est beaucoup plus noble. À l’Assemblée nationale et au Sénat, les partisans de la colonisation avaient créé un lobby, pour défendre leurs appétits : le «Parti colonial». Le terme de «parti» ne doit pas ici induire en erreur, il ne désigne pas une formation politique, mais un courant de pensée trans-partisan, réunissant une centaine de parlementaires de droite et de gauche. Ils s’adjoignirent de puissants hommes d’affaires, des militaires, des géographes et de hauts fonctionnaires, comme François Georges-Picot. Si très peu de Français s’intéressaient à la colonisation, avant la Première Guerre mondiale, ils furent beaucoup plus nombreux, durant l’Entre-deux-Guerres… c’est-à-dire, après la restitution de l’Alsace et de la Moselle. Le Parti colonial, qui n’était plus alors que celui du capitalisme aveugle, enrobé de droit-de-l’Hommisme, tenta de convaincre la population, à travers de grandes manifestations, comme la sinistre Exposition coloniale de 1931, et connut son apogée avec le Front populaire de Léon Blum, en 1936.
La colonisation de la Petite Syrie
À l’issue de la Guerre et de la chute de l’Empire ottoman, le chérif Hussein des deux Mosquées de La Mecque et de Médine proclame l’indépendance des Arabes. Conformément aux engagements de «Lawrence d’Arabie», il se proclame «roi des Arabes», mais est rappelé à l’ordre par la «perfide Albion». En 1918, son fils, l’émir Fayçal, proclame un gouvernement arabe provisoire, à Damas, tandis que les Britanniques occupent la Palestine, et les Français, la côte méditerranéenne. Les Arabes tentent de créer un État unitaire, multiconfessionnel, démocratique et indépendant. Le président US, Woodrow Wilson, a réconcilié son pays avec le Royaume-Uni autour du projet commun de création d’un État juif, mais il est opposé à l’idée de coloniser le reste de la région. Quittant la Conférence de Versailles, la France se fait octroyer un mandat, par le Conseil suprême inter-alliés, pour administrer sa zone d’influence, lors de la Conférence de San Remo. La colonisation avait trouvé un alibi juridique : il fallait aider les Levantins à s’organiser, après la chute des Ottomans. Les premières élections démocratiques sont organisées, en Syrie, par le gouvernement arabe provisoire. Elles donnent la majorité du Congrès général syrien à des caciques, sans véritable couleur politique, mais l’assemblée est dominée par les figures de la minorité nationaliste. Elle adopte une Constitution monarchique et bicamérale. À l’annonce du mandat français, le Peuple se soulève contre l’émir Fayçal, qui a décidé de collaborer avec les Français et les Maronites du Liban qui le soutiennent. Paris envoie la troupe, sous les ordres du général Gouraud, un membre du «Parti colonial». Les nationalistes syriens lui livrent bataille, à Khan Mayssaloun, où ils sont écrasés. La colonisation commence. Le général Gouraud sépare, d’abord, le Liban —où il dispose du soutien des Maronites— du reste de la Syrie, qu’il s’efforce de gouverner, en divisant et en opposant les groupes confessionnels. La capitale de la «Syrie» est transférée à Homs, une petite ville sunnite, avant de revenir à Damas, mais le pouvoir colonial reste basé au Liban, à Beyrouth. Un drapeau est donné à la colonie, en 1932, il est composé de trois bandes horizontales représentant les dynasties Fatimides, (vert), Omeyyades, (blanc) et Abbasides, (noir), symboles des Musulmans chiites, pour la première, et sunnites, pour les deux suivantes. Les trois étoiles rouges, représentent les trois minorités chrétienne, druze et alaouite.La France entend faire du Liban un État maronite, car les Maronites sont des Chrétiens reconnaissant l’autorité du pape, et de la Syrie, un État musulman. Elle ne cessera de combattre les Chrétiens de la Petite Syrie, car, majoritairement, orthodoxes. En 1936, la gauche accède au pouvoir, en France, avec le gouvernement du Front populaire. Il accepte de négocier avec les nationalistes arabes et leur promet l’indépendance. Le sous-secrétaire d’État aux protectorats du Maghreb et aux mandats du Proche-Orient, Pierre Viénot, négocie l’indépendance du Liban et de la Syrie, (comme il avait tenté de le faire, pour la Tunisie). Le Traité est ratifié, à l’unanimité, par le Parlement syrien, mais ne sera jamais présenté par Léon Blum —membre du «Parti colonial»— au Sénat. Dans la même période, le gouvernement du Front populaire décide de séparer la ville d’Antioche de la Petite Syrie et propose de la rattacher à la Turquie, ce qui sera fait, en 1939. De cette manière, Léon Blum entend se débarrasser des Chrétiens orthodoxes, dont le patriarche est titulaire de la chaire d’Antioche et que les Turcs ne manqueront pas de réprimer. Finalement, c’est la division de la France, durant la Seconde Guerre mondiale, qui mettra fin à la colonisation. Le gouvernement légal de Philippe Pétain tente de maintenir le mandat, tandis que le gouvernement légitime de Charles De Gaulle proclame l’indépendance du Liban et de la Syrie, en 1941. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Gouvernement provisoire de la République met en œuvre le programme du Conseil national de la Résistance. Pourtant, le «Parti colonial» s’oppose aux indépendances des peuples colonisés. Le 8 mai 1945, c’est le massacre de Sétif, (Algérie), sous le commandement du général Raymond Duval, le 29 mai, c’est celui de Damas, sous le commandement du général Fernand Olive. La ville est bombardée par l’aviation française, durant deux jours. Une grande partie du souk historique est détruite. L’hémicycle du Congrès du Peuple syrien, lui-même, est bombardé.
http://francophone.sahartv.ir/infos/article-i6771-pourquoi_la_france_veut_renverser_la_r%C3%A9publique_arabe_syrienne_par_thierry_meyssan