20 novembre 2015
Entretien exclusif avec le député turc d’origine arménienne Garo Paylan.
Le Parti de l’Union démocratique kurde (PYD), le Congrès national de Kurdistan (KNK) et le Conseil démocratique kurde de France (KDK-F) ont organisé le 12 novembre à l’Assemblée nationale, un colloque intitulé « La crise du Moyen-Orient, les Kurdes et la résistance contre l’Etat islamique ». Parmi les personnalités invitées se trouvait notamment le député turc Garo Paylan, élu sur la liste du parti HDP, qui a participé à une table ronde au nom de Selahattin Demirtaş, co-président du HDP.( ou Président non ? )
Ci-joint un entretien exclusif avec Garo Paylan.
NH : La chancelière allemande a promis au Président turc Erdogan lors de leur dernier rencontre de rouvrir les négociations pour l’entrée de la Turquie en Europe … ? Qu’en pensez-vous?
Garo Paylan : Oui, je le sais, mais n’oublions pas que la plus grande angoisse des chefs d’Etats européens est la crise syrienne. D’un autre côté, même si la Turquie mène une guerre ouverte contre les Kurdes, personne n’en parlera et personne ne prendra des mesures pour stopper cette guerre. Aujourd’hui nous sommes très loin de ce stade, car la Turquie n’a toujours pas instauré un système démocratique. De plus, nous traversons une période de guerre et tant que ces problèmes persistent, il n’est pas possible malheureusement de parler de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne.
NH : Quelles sont les exigences du HDP vis-à-vis de l’Union européenne ?
GP : L’UE doit exiger de la Turquie de respecter l’application du système démocratique, Il faut qu’elle soutienne la justice, car en Turquie, nous sommes administrés sous les ordres tyranniques du Président Erdogan.
NH : Il y a quelques années, l’AKP, le parti d’Erdogan, a donné certains gages pour le respect des droits des minorités mais actuellement l’application reste indécise. Sommes-nous, à nouveau, revenus à la période de persécution des minorités par les kémalistes et par le pouvoir militaire ?
GP : Malheureusement c’est la réalité. Depuis trois ans l’AKP est soutenu par l’armée. Cette situation est terrifiante non seulement pour les Arméniens, mais aussi pour les Assyriens, les Grecs, les Tziganes et les autres minorités religieuses. La population vit à nouveau la terreur des années 1980 – 1990 en s’interrogeant comment élever et éduquer leurs enfants dans un tel environnement. Les gens ne sont plus du tout optimistes.
NH : Les dernières élections en Turquie ont consolidé la position du Président turc. Est-ce que cela signifie qu’il va exercer plus de pression sur les minorités nationales ?
GP : Le Président turc est un opportuniste et il est capable de changer sa politique en fonction des situations. Pour lui c’est d’abord ses intérêts personnels qui comptent en priorité. Aujourd’hui il coopère et sympathise avec les militaires. Face à cette réalité, l’opposition ne peut rester inactive et elle va essayer de changer la situation à tout prix. En conséquence, le pays traversera une période d’insécurité et ouvrira la porte pour les minorités nationales, comme pour nous, de grands dangers.
NH : Pourquoi vous vous êtes présenté comme candidat sur la liste du HDP ?
GP : Les candidats kurdes et ceux des minorités mènent le même combat en tant qu’opposition car nous avons les mêmes problèmes et donc il faut qu’on combatte ensemble. Le programme du HDP se base sur des principes d’égalité pour tous.
NH : Quels sont les éléments pro-minoritaires, pro-arméniens du programme du HDP ?
GP : Ce parti kurde tient en compte l’histoire d’un siècle et en ce sens, croit qu’il faut réévaluer les événements du passé et les renommer par leur nom véritable: donc, travailler en faveur de la reconnaissance du génocide des Arméniens. Je voudrais souligner que cette reconnaissance n’est pas seulement une nécessité pour les Arméniens mais aussi pour les Kurdes et les Turcs. Il est important que la Turquie reconnaisse ses erreurs du passé, car c’est ainsi qu’elle pourra tourner son regard vers l’avenir.
NH : Mais il ne s’agit pas seulement de reconnaitre le génocide. Il y a derrière la question de la réparation, la restitution des terres et des biens, les droits des minorités, l’élaboration de programmes dans l’éducation …
GP : L’ensemble des aspects que vous venez de citer font partie de notre programme. Pour nous, l’instauration de la justice est prioritaire. Nous sommes conscients qu’il faut avancer pas à pas et qu’il n’est pas possible de régler les problèmes d’un siècle en un jour, et qu’il nous faut au moins dix ou vingt ans.
NH : Cette voie est très proche de celle prônée par Hrant Dink …
GP : Bien sûr. Avant Hrant Dink, les gens pensaient à ces sujets mais n’en discutaient que chez eux car ils avaient peur d’en parler en public. Hrant Dink nous a ouvert le chemin de la justice. Moi et les gens comme moi nous allons continuer à œuvrer dans ce sens.
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