Le génocide arménien, ou plus précisément le génocide des Arméniens, est un génocide perpétré d’avril 1915 à juillet 1916,
Génocide arménien : quatre questions pour comprendre ce qui s’est passé il y a cent ans
Thomas Baïetto
France Télévisions
Mis à jour le 24/04/2015 | 11:05
publié le 23/04/2015 | 07:25
Le centenaire de ces massacres est commémoré le 24 avril. L’occasion pour francetv info de revenir sur ce fait historique méconnu.
A l’époque, le mot génocide n’existait pas. Il y a cent ans, en pleine première guerre mondiale, les Arméniens de l’Empire ottoman, l’actuelle Turquie, sont massacrés ou déportés par les autorités. Ce génocide, le premier du 20e siècle, fait entre 1,2 et 1,5 million de morts, selon les estimations. Alors que le président François Hollande se rend à Erevan (Arménie), vendredi 24 avril, pour les commémorations de ce drame, francetv info revient sur cet événement historique méconnu en France.
Que s’est-il passé ?
Tout commence le 24 avril 1915. Cette nuit-là, le préfet de police de Constantinople (devenue Istanbul en 1930) ordonne l’arrestation de l’élite arménienne de la ville. 600 intellectuels sont exécutés en quelques jours. Dans les mois qui suivent, les populations arméniennes sont prises pour cible sur l’ensemble du territoire ottoman. “Cela s’est traduit par des rafles dans les villages, puis des convois de déportation vers des régions comme la Syrie”, explique à francetv info Philippe Videlier, historien au CNRS et auteur de Nuit turque.
Ces crimes sont perpétrés à la fois par les forces régulières, les gendarmes turcs, et par des unités créées pour l’occasion. C’est le cas, par exemple, de l’Organisation spéciale, dirigée par un médecin formé en France, Behaeddine Chakir. “Les gens mouraient soit massacrés, soit d’épuisement, poursuit Philippe Videlier. Certains ont été vendus comme esclaves. Il y a eu des crimes sexuels, des massacres d’enfants et des adoptions forcées.” Les persécutions ne cessent qu’en 1918, après un changement de régime.
Pourquoi les Arméniens ont-ils été pris pour cible ?
Les massacres d’Arméniens, une minorité chrétienne dans un empire musulman, n’ont pas commencé en 1915. “L’Arménien, comme les autres non-musulmans, est considéré comme un citoyen de second ordre, sur qui pèsent des interdictions légales et des obligations fiscales découlant de sa condition d’infidèle”, explique ainsi, en 1998, le rapport de l’Assemblée nationale française sur le génocide arménien.
De 1894 à 1896, le sultan Abdülhamid II fait ainsi tuer 200 000 personnes après des révoltes paysannes. Mais c’est avec l’arrivée au pouvoir du parti des Jeunes-Turcs, en 1908, que les évènements s’accélèrent. “C’était un régime moderniste, mais très vite, leur nationalisme les a entraînés dans une voie raciale et raciste”, observe l’historien Philippe Videlier. La première guerre mondiale va leur fournir une occasion de s’en prendre aux Arméniens. Par le jeu des alliances, l’Empire se trouve opposé à la Russie, un pays frontalier, où vit également une importante minorité arménienne. “Ils ont prétexté que les Arméniens n’étaient pas des éléments sûrs, mais des séparatistes qui allaient s’allier avec la Russie contre l’Empire ottoman”, explique Philippe Videlier.
“Les vraies raisons, ce sont les mêmes que pour tous les génocides, poursuit l’historien. Il y avait une volonté d’épuration ethnique pour restaurer la pureté turque.” Une analyse confirmée par les diplomates étrangers présents dans l’Empire à cette époque. “Il est évident que la déportation des Arméniens n’est pas motivée par les seules considérations militaires”, écrit, le 1er juin 1915, l’ambassadeur allemand, pourtant allié du pouvoir turc. Dans ses mémoires, l’ambassadeur américain Henry Morgenthau rapporte cette phrase du ministre de l’Intérieur, Talaat Pacha : “Nous ne voulons plus voir d’Arméniens en Anatolie ; ils peuvent vivre dans le désert, mais nulle part ailleurs.”
Les coupables ont-ils été jugés ?
Défait militairement, le gouvernement des Jeunes-Turcs perd le pouvoir en novembre 1918. Ses dirigeants, dont le trio Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha, prennent la fuite. A l’issue du procès de Constantinople, en 1919, le triumvirat et d’autres responsables des Jeunes-Turcs sont condamnés à mort par contumace pour leur rôle dans le génocide des Arméniens. Mais la sentence ne sera pas exécutée : absents, ils échappent à la mort. Surtout, la Turquie change de position sur le sujet avec l’arrivée au pouvoir du régime nationaliste de Mustafa Kemal, Atatürk, en 1923.
Opposé au traité de Sèvres (1920), le traité de paix entre les vainqueurs de la première guerre mondiale et l’Empire Ottoman, Atatürk réclame sa renégociation. Sa victoire contre les troupes grecques, qui occupent alors une partie de l’Empire ottoman, change le rapport de force dans la région. La communauté internationale accepte donc de renégocier, et le traité de Lausanne est signé le 24 juillet 1923. Ce texte dessine les frontières de la Turquie actuelle, mais pas seulement. Il décrète au passage l’amnistie pour les crimes commis pendant le conflit.
Les trois Pacha ont cependant déjà été rattrapés par leur passé. Une campagne d’assassinats ciblés, montée par des Arméniens, les frappent en 1921 et 1922 : Djemal est tué à Tbilissi (Géorgie), l’Armée rouge exécute Enver au Tadjikistan soviétique. Et Talaat est assassiné à Berlin (Allemagne) par l’Arménien Soghomon Tehlirian. Jugé pour ce meurtre, ce dernier est finalement acquitté. “Les juges ont considéré qu’il y avait une sorte de légitime défense, et des circonstances atténuantes”, analyse Philippe Videlier.
Pourquoi la Turquie continue-t-elle de nier ?
Même si le président du pays a présenté ses condoléances en 2014, la Turquie a toujours refusé de parler de génocide des Arméniens. Par nationalisme, mais pas seulement. A l’origine, le régime de Mustafa Kemal repose en grande partie sur les fonctionnaires du régime Jeunes-Turcs. “C’est comme si on avait repris tous les Maurice Papon possibles, compare Philippe Videlier. Les responsables matériels du génocide se sont retrouvés à des postes clés, ce qui explique la position négationniste.”
D’abord favorables à la cause arménienne, les grandes puissances vainqueurs de la première guerre changent de position après la seconde. “En pleine guerre froide, il n’est plus question de demander des comptes à la Turquie parce qu’elle devient un pion essentiel face à la Russie”, indique Philippe Videlier. Un calcul géopolitique qui explique pourquoi la France n’a reconnu ce génocide qu’en 2001. Une loi a été adoptée en 2011 pour punir sa négation, mais elle a été censurée depuis par le Conseil constitutionnel. Ce dernier estime que la loi porte une “atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication”.
francetvinfo.fr/monde/armenie/genocide-armenien/genocide-armenien-quatre-questions-pour-comprendre-ce-qui-s-est-passe-il-y-a-cent-ans_870989.html