
le 28.10.2015
Première guerre mondiale, génocide des Arméniens… Quelques mises au point pour évoquer les tragédies de l’Histoire avec les mots justes
Les mots pour nous rappeler les tragédies de l’Histoire sont chargés de sens, d’émotion. Il leur arrive aussi de faire contresens. Ainsi, ils sont nombreux ceux qui confondent commémorer un événement et célébrer son anniversaire : « En 2014 a débuté le cycle des commémorations du centenaire de la première guerre mondiale. » De qui, cette faute ? Du ministère… de l’éducation nationale. Il n’est pas fautif, en revanche, de « célébrer l’anniversaire de la libération des camps nazis » (à part peut-être pour Dieudonné et Faurisson…). Ou l’anniversaire de la chute de Diên Biên Phu (à part peut-être pour la Légion étrangère…).
On peut aussi marquer l’anniversaire d’un événement aux conséquences incontestablement funestes : par exemple, la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges (on réservera le mot « libération » à celle… de Paris, les images parlent d’elles-mêmes, non ?). Et le « génocide arménien » ? Le mot a une telle charge symbolique qu’en discuter l’emploi, c’est prendre le parti des nationalistes turcs dans leur volonté de réécrire l’Histoire.
La loi de la République, elle, dispose : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. » Il eût été plus exact de dire « le génocide des Arméniens ». Comme il est plus juste de parler du « génocide des juifs » – quand bien même des historiens réputés parlent de « destruction des juifs d’Europe ». Qui est plus long que « Shoah », qui a fini par s’imposer, y compris au Monde, et plus rigoureux qu’« Holocauste », à la connotation religieuse. Ce mot, « génocide » (du grec genos, race, et du latin cædere, tuer), a été forgé avant la session du tribunal de Nuremberg, en 1945, pour qualifier les intentions exterminatrices des nazis.
L’humour étant la politesse du désespoir, je conclurai par une authentique histoire juive. Très noire. Se retrouvant au goulag par hasard, à la fin des années 1940, Isaac et Boris, deux vieux communistes russes, se tombent dans les bras : « Tu te souviens, Boris, Auschwitz ? – Ah ! Isaac, Auschwitz, c’était le bon temps !… »
Lucien Jedwab
Journaliste au Monde
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