Agressions et menaces contre les Arméniens de France
3 août 2020 – par Ara Toranian:
Le fait est passé inaperçu. Pourtant, le raid anti-arménien qui s’est produit à Décines est sidérant.
Le fait est passé inaperçu. Comme si Décines ne se trouvait pas en France et que les événements qui s’y sont déroulés le 24 juillet dernier ne remettaient pas en cause la sécurité des citoyens et les fondamentaux de la République.
Pourtant, le raid anti-arménien qui s’y est produit et les images que tout un chacun peut regarder sur la page Instagram intitulée 1francoturc sont sidérantes. On y voit tout d’abord le détenteur de ce compte haranguer en turc un groupe de jeunes qui répètent en chœur derrière lui : « Nous ne connaissons pas la peur ! Nous sommes les soldats des montagnes ! Notre maison c’est le ciel ! Aux endroits qui font tourner la tête ! Nous ne connaissons aucun obstacle, on le franchit ! Je suis le commando turc. Je suis le commando turc. Je suis le commando turc ». Arborant les T-shirt à l’effigie des « Loups gris », ils font avec leurs doigts le signe de l’organisation fasciste et se mettent en condition pour passer à l’attaque.
Leur cible : quelques centaines d’Arméniens, venus en famille dire leur solidarité à l’Arménie, après les affrontements militaires sur sa frontière avec l’Azerbaïdjan du 12 juillet et des jours suivants. Ce rassemblement pacifique et autorisé auquel participait Laurence Fautra, maire LR de la ville, et Danièle Cazarian, députée LAREM de la circonscription, a toutefois pu se tenir.
Mais ce fût au prix d’une bataille rangée de plusieurs heures entre les CRS et les affidés des « Loups gris », dont certains étaient munis de couteaux et de barres à mine, comme en témoignent les vidéos postées sur l’événement.
Deux de ces extrémistes ont été arrêtés et relâchés. Mais l’organisateur de ce raid qui s’inspire à la fois des méthodes des Loups gris et de la vieille tradition anti-arménienne du djihadisme panturc, ne serait, à ce jour, toujours pas inquiété.
Nous sommes en France, en 2020, à 6 stations de tramway de la gare de Lyon Part-Dieu… Ainsi, cent ans après le génocide de 1915, à des milliers de kilomètres de la Turquie, rien n’a visiblement changé. Du moins pour ces jeunes particulièrement conditionnés par la propagande anti-arménienne et négationniste d’Ankara. Résultat : A leurs yeux, les Arméniens constituent l’entité honnie. Comme au temps de l’Empire ottoman.
Et qu’importe s’ils vivent aujourd’hui en France. Leur racisme revendiqué, qui alimente hélas en retour sur les réseaux sociaux des réactions primaires d’Arméniens excédés, fait désormais partie intégrante de leur panoplie identitaire. Dès lors, tous les ingrédients d’une explosion sont là.
Il suffit pour s’en convaincre d’entendre le leader des fauteurs de trouble proclamer sans ambages dans une vidéo : « Que le gouvernement me donne 2000 euros et une arme, et je ferai ce qu’il y a à faire, où que ce soit en France ».
Cette séquence inédite de violence anti-arménienne n’est pas sans évoquer les manifestations liées aux événements de Gaza en 2014 qui s’étaient soldées par des attaques contre la synagogue de la rue de la Roquette et des agressions contre des Juifs, pourchassés en plein Paris.
Elle appelle de toute évidence une réponse répressive appropriée des pouvoirs publics qui doivent plus que jamais assumer leurs fonctions régaliennes, au risque sinon d’ouvrir la porte à des guerres tribales, dont les événements de Dijon de la mi-juin nous ont présenté un triste exemple.
Mais ce type de situation met également en cause la responsabilité des politiques, et pose la question de leurs alliances contre nature qui ont pour résultat, à terme, de banaliser l’inacceptable. Ainsi a-t-on vu dans la région lyonnaise Gérard Colomb, qui a pourtant une image d’arménophile, pactiser lors des dernières municipales avec Izzet Doganel, candidat ouvertement pro-Erdogan à Saint-Priest. Même chose pour Yves Blein, ex-socialiste, aujourd’hui membre de LaREM, qui a hébergé sur sa liste à Vénissieux un militant connu du PEJ, Parti Egalité et Justice, succursale en France de l’AKP.
Il va sans dire que les cautions accordées par des représentants de grands partis à des candidats qui participent du séparatisme (tel que défini par E. Macron dans son discours de Mulhouse), ont pour contrecoup de donner des ailes aux extrêmes, de favoriser leur arrogance, comme on l’a vu à Décines. Il ne s’agit que de deux exemples, parmi d’autres.
Mais nul doute que ces reculs républicains concourent à l’abaissement des normes en matière de droits de l’Homme, et que leurs conséquences se sont fait sentir, d’ores et déjà, bien au-delà des enjeux municipaux, comme l’illustrent les événements de Décines où l’on aurait pu allègrement passer des coups de canif à l’éthique de responsabilité aux coups de couteau dans la rue.
Cette inquiétante affaire relance aussi, du fait de la haine qu’elle a révélée au grand jour, la question de la pénalisation du négationnisme du génocide arménien, que d’aucuns avaient cru bon de combattre au motif que ce négationnisme-là n’était pas intrinsèquement porteur de sentiments de cette haine, contrairement à celui de la Shoah avec l’antisémitisme.
Ce qui tendait à réduire la discussion à la seule problématique de la « Liberté d’expression », au nom de laquelle d’ailleurs la loi Boyer a été invalidée par le Conseil Constitutionnel. Or ce négationnisme qui affecte de se présenter comme une innocente contribution au débat historique revêt bien sûr une dimension malveillante et politique qui constitue le « stade suprême du génocide », pour reprendre l’expression de Bernard-Henri Lévy.
Et que cette dimension a été clairement le soubassement visible et permanent des violences de Décines. Il suffit pour s’en convaincre d’aller sur les réseaux sociaux. La littérature nauséabonde qui s’y donne en spectacle ne laisse aucun doute sur le sujet.
Et si par hasard, il subsistait la moindre hésitation, la collusion affichée entre l’organisateur des événements de Décines et l’un des plus virulents négationnistes du génocide arménien finirait par la dissiper. Il se trouve en effet que ce membre ou sympathisant des Loups gris, si volontiers insultant et menaçant, a organisé quelques jours avant de sévir dans la rue une vidéo-conférence sur « les événements de 1915 » avec un salarié français de l’AVIM (le principal think tank négationniste turc), celui-là même qui avait intenté sans succès un procès en diffamation contre l’auteur de ces lignes.
Ainsi, sur un même support et dans un formidable partage des tâches, on pourra entendre le soi-disant historien en costume-cravate s’évertuer à contester l’existence d’un génocide tandis que l’autre ira quelques jours plus tard menacer les descendants des victimes sur le sol national. La boucle est bouclée.
On le voit, la situation est en réalité très inquiétante, car il ne s’agit plus de savoir si la vérité sur un génocide doit être ou non tributaire d’un choc entre communautés, ou si la protection de la dignité des victimes doit s’évaluer à la capacité de nuisance d’un État criminel, comme les carences de la législation française sur le sujet le laisseraient supposer.
On n’en est plus là. On a franchi un palier. C’est de sécurité dont il est désormais question. De société démocratique. D’ordre républicain. De vies humaines. Et les réponses, sur le plan législatif comme sur le plan régalien, se devraient d’arriver très vite et d’être à la hauteur. Si possible, avant l’irréparable…
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