Dette : l’Arménie suit-elle le chemin de la Grèce ?

Dram-2 07 janvier 2016

Certains experts économiques en Arménie commencent à s’inquiéter : ils estiment que le gouvernement arménien creuse plus que de raison la dette extérieure, sans moyens clairs de la financer. Le FMI s’est dit lui aussi préoccupé. La classe politique arménienne, elle, minimise le problème.

Pour certains, la question de la dette de l’Arménie rappelle en écho les images de la Grèce, il est vrai sur une échelle beaucoup plus modeste. Avec 4,6 milliards $ de dette, le petit pays du Sud-Caucase a une dette extérieure très loin de la celle Grèce (soit 360 milliards d’euros, soit un peu plus de 400 milliards $). Dans le même temps, la situation difficile d’Erevan représente un potentiel également beaucoup plus modeste pour le système financier international.

Il n’en reste pas moins que certains observateurs à Erevan suspectent le gouvernement arménien de suivre le même chemin que la Grèce, en utilisant des perfusions d’argent de l’extérieur afin de combler les lacunes fiscales et de retarder les réformes économiques.

Dans les faits, les dettes étrangères de l’Arménie ont augmenté d’environ 300 % au cours des sept dernières années, et représentent maintenant 46,6 % de son produit intérieur brut de 2015, soit plus de 4500 milliards de drams (9,63 milliards de dollars), selon la Banque centrale d’Arménie. Le Fonds Monétaire International a déjà exprimé sa préoccupation à propos de la charge que représente cette dette.

« Nous pensons que la dette extérieure de l’Arménie est maintenant dans la zone « d’inconfort », et que le gouvernement doit prendre des mesures afin que l’indice de la dette sur le PIB commence à décroître, a déclaré le représentant du Fonds monétaire international en Arménie, Teresa Sanchez, le 20 Juillet dernier lors d’un entretien publié par le quotidien arménien Haykakan Jamanak.

Avec près de 1,6 milliard $, la Banque mondiale détient environ 40 % de la dette étrangère de l’Arménie – la part la plus élevée, en lien avec la Banque centrale d’Arménie. Le FMI se classe deuxième, loin derrière, avec plus de 442 millions de $, soit environ 12 % du total officiel. La Banque asiatique de développement a fourni 300 millions $, soit près de 8 % de la charge.

Les chiffres exacts pour l’ensemble des paiements des intérêts annuels de l’Arménie et d’autres obligations n’ont pu être immédiatement définis. Les estimations des paiements des intérêts par les experts varient de 80 millions $ à 200 millions $ par an.

Comme ce fut le cas en Grèce, la dette extérieure se développe à un rythme plus rapide en Arménie que la croissance économique. En 2015, la dette a augmenté de 10,58 %, tandis que les exportations ont diminué de plus de 15,7 % pour cent depuis 2014 selon les statistiques officielles.

Le FMI à la fin septembre a estimé que l’économie de l’Arménie connaîtra cette année une croissance de 2,5 %. Le taux de chômage se situe à 18,2 % de la population estimée en âge de travailler (soit environ 2,18 millions de personnes) – tandis que des estimations non officielles font état de taux beaucoup plus élevés. Enfin, près d’un tiers d’environ des 3 millions d’habitants de l’Arménie vivent dans la pauvreté.

La dette extérieure, qui dépasse maintenant le budget de l’Etat de l’Arménie de 1,6 milliard $, selon la Banque centrale, était censée aider à mettre le pays sur la voie du développement durable, mais, jusqu’à présent, le pays s’est montré peu probant à ce sujet, a déclaré l’économiste Artak Manoukian de l’ONG anti-corruption Transparency International Arménie.

« Les fonds empruntés n’ont pas stimulé l’économie du tout, n’ont pas contribué au développement de secteurs économiques prometteurs, n’ont pas diversifié l’économie ; par conséquent, il n’y a pas de revenu stable, a-t-il dit. Seuls les « centres commerciaux et des casinos, » – plutôt que de nouvelles usines – ont ouvert récemment.

« La question n’est pas tant la taille de la dette que les possibilités de développement, a convenu l’économiste Vilen Khachatrian, professeur à l’Université d’État de l’économie à Erevan, la capitale arménienne. Une augmentation aussi rapide de la dette extérieure est un motif de préoccupation parce que ces fonds sont utilisés pour éliminer le déficit budgétaire et sont devenus un fardeau supplémentaire défavorable pour la croissance économique ».

Certains observateurs disent également s’inquiéter par la façon dont l’argent du prêt est utilisé. Par exemple, une enquête de 2014 par la Chambre de Contrôle, qui surveille les dépenses du gouvernement, a constaté qu’un projet de 13 millions $ financé par la Banque Mondiale pour développer 700 hectares de vergers d’abricot, de pêche, de noyers a abouti à seulement quatre hectares de cultures plantées. Une enquête sur l’utilisation de l’argent du prêt est toujours en cours. Au-delà des commentaires du FMI sur la dette en Juillet, des représentants de la communauté financière internationale n’ont pas publiquement critiqué le gouvernement sur la question.

Le bureau à Erevan de la Banque mondiale s’est refusé à tout commentaire, arguant que cela sortait de son cadre habituel de recherche. Lorsqu’il a été interrogé sur le niveau de la dette par EurasiaNet.org lors d’une conférence de presse le 25 Septembre , un représentant du FMI a refusé de donner un commentaire supplémentaire, et le FMI n’a pas répondu aux demandes de renseignements qui ont été exprimées par la suite. La Banque centrale n’a pas non plus répondu à une demande de commentaire.

Les estimations varient sur la taille réelle de la dette étrangère de l’Arménie. L’ancien Premier ministre Hrant Bagratian, un économiste et ancien conseiller de la Banque mondiale, affirme que la dette extérieure réelle est supérieure à celle notifiée officiellement de 4,6 milliards de $. Plusieurs garanties du gouvernement pour des dettes des entreprises, telles que les 450 millions de $ de la garantie de l’usine chimique Nairit, s’ajoutent au niveau de la dette, a-t-il allégué.

“Nous n’avons pas une connaissance précise de la quantité des dettes étrangères des entreprises et des banques, qui doivent également être saisies dans le total”, a déclaré Hrant Bagratian, maintenant député de l’opposition.

Des fonctionnaires et des politiciens du parti au pouvoir minimisent l’idée que l’Arménie fait face à des problèmes avec sa dette extérieure. Gagik Minasian, le président du Comité permanent du Parlement sur le crédit financier et des affaires économiques, a déclaré à EurasiaNet.org que la dette de 4,6 milliards $ était un`montant modéré gérable.` En 2015, l’Arménie va utiliser `seulement environ 4 % de ses revenus` afin de satisfaire aux obligations sur la dette, a-t-il estimé.

Gayane Abrahamyan
http://nor-haratch.com

Facebooktwitterredditpinterestlinkedinmail