TURQUIE. Crise kurde : comment la théorie du “complot arménien” refait surface

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7 janvier 2016

Conspirateurs tout trouvés pour justifier le “nettoyage” du Kurdistan turc sur fond de discours “unitaire” présidentiel, les Arméniens font de nouveau figure de boucs émissaires en Turquie. Les maisons kurdes incendiées, les affrontements entre le PKK et l’armée turque : tout aurait été planifié par la main invisible des vengeurs arméniens. Entre paranoïa et propagande d’Etat : le danger du sentiment anti-arménien et de ses conséquences ressurgit une fois encore de sa boîte.

En Turquie, les milieux progressistes lancent l’alerte sur le site nefretysoylemi.org (“parole de la haine”), qui traque régulièrement les articles de presse et les points de vue destinés à alimenter la haine dans la société civile turque. Récemment, ce site s’est fait l’écho d’un article provocateur publié le 23 décembre dernier dans le journal « Yeni Akit » et signé par un Ekrem Chahan.

« Il s’est avéré que derrière les attaques menées par l’organisation terroriste PKK contre les populations kurdes qui ne soutiennent pas ses actions, explique l’auteur, se cache une tentative de vengeance des événements de l’exode des Arméniens. Après le message via Twitter de la députée du parti pro-kurde HDP Pervine Bouldan où elle disait: « Tu ne dois pas abandonner. Car si un jour tu décides d’y retourner, tu risques de ne plus retrouver », les maisons des citoyens qui sont partis ont été détruites et incendiées par le PKK.

Le Président de l’Union Turkmène Alevi-Bektachi Özdemir Özdemir aurait d’ailleurs confié à « Yeni Akit » : « Ils essayent de transformer la région en un foyer arménien. Les Arméniens, par le biais du PKK, cherchent à se venger des Kurdes. Le HDP et le PKK essayent de transformer en enfer l’Anatolie de l’Est et du Sud-est pour nos frères Kurdes musulmans, en détruisant et incendiant leurs maisons. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que le PKK installe, dans ces régions, des citoyens turcs d’origine arménienne qui se présentent comme étant des « Kurdes » ou des « Kurdes alévis ».

De son côté, le Président de l’Union des journalistes de l’Anatolie du Sud Zeynel Abidin Kiymaz, a dit : « Le HDP soi-disant protège les Kurdes mais en réalité il joue à l’arménité. Ceci constitue seulement une petite partie d’un grand projet. L’organisation terroriste PKK est en accord avec le HDP et le souhait de ces deux groupes est de vider cette zone de sa population kurde ».

Après les dernières déclarations martiales du président Erdogan tant sur « l’unité nationale », la nécessité de « nettoyage » de la zone kurde, que sur le modèle que constituerait l’Allemagne hitlérienne, les délires fascistes comme ceux publiés dans « Yeni Akit » sont pris très au sérieux par les observateurs. Ils pourraient faire office de chiffon rouge dans le contexte actuel et représenter un danger majeur pour les minorités, au premier rang desquelles les Arméniens.

Passés au crible, les propos de « Yeni Akit » ne réaffirment rien de moins que l’unité des peuples turcs et kurdes autour de l’Islam, soumis à un même danger. Car devant eux se dresserait une hydre à trois têtes constituées du HDP, du PKK et … de l’Arménien, éternel conspirateur qui, au nom on ne sait de quel « grand projet » persécute le peuple kurde ô combien cher au peuple turc, en les expulsant de leurs terres et en incendiant et détruisant leurs maisons.

L’absurdité, l’incohérence, les contradictions de ces allégations dénuées de tout fondement paraîtraient simplement grotesques, si elles ne rappelaient pas le préambule de ce qui fut la période la plus sombre de notre Histoire. Avec cette différence majeure qu’il ne reste plus d’Arméniens sur leurs terres ancestrales – ou si peu qu’on peut se demander comment le sentiment anti-arménien peut encore, un siècle après le génocide de 1915, continuer à servir de ciment national.

Pourtant, le constat est sans appel : à nouveau les vieux remèdes sont administrés, aussi dangereux qu’illusoire, à savoir en l’espèce l’inoculation dans l’opinion de la théorie du complot arménien, alors que le pays est confronté à une crise intercommunautaire sans précédent. Une crise au demeurant provoqué par la mégalomanie de son plus haut dirigeant, dans la seule optique de conserver le pouvoir.

http://nor-haratch.com/2016/01/turquie-crise-kurde-comment-la-theorie-du-complot-armenien-refait-surface/

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