La Turquie a acheté du gaz toxique à l’Allemagne nazie pour tuer des Alévis kurdes et des Arméniens en 1938
PAR HARUT SASSOUNIAN, ÉDITEUR, THE CALIFORNIA COURIER ·
10 AVRIL 2023
Le professeur Taner Akcam de l’UCLA a écrit un article révélateur en turc, dans le journal arménien Agos d’Istanbul le 31 mars 2023, concernant le massacre brutal par le gouvernement turc de dizaines de milliers de minorités à Dersim, une province orientale de la Turquie, en 1938. L’article était intitulé : « [Le président] Mustafa Kemal et [le Premier ministre] Ismet Inonu ont ordonné l’utilisation de gaz toxiques pendant le massacre de Dersim.
Bien que ce ne soit pas la première fois que cette information est révélée, le professeur Akcam a découvert d’autres documents turcs qui confirment les détails de cet horrible massacre ordonné par Atatürk et Inonu. Les deux dirigeants turcs ont publié un décret secret en 1937 pour l’achat de 20 tonnes de gaz moutarde toxique et de 24 avions bimoteurs à l’Allemagne pour exterminer par des pulvérisations aériennes et des bombardements des Kurdes Alévis et des Arméniens qui vivaient cachés dans les grottes montagneuses de Dersim. Les milliers d’habitants arméniens du Dersim étaient des survivants du génocide arménien qui avaient fui et se sont convertis à l’alévisme pour sauver leur vie.
De nombreux articles et livres ont été publiés ces dernières années, documentant l’admiration d’Hitler pour Atatürk. La coopération entre le gouvernement turc et l’Allemagne nazie est une autre indication du partenariat criminel de ces deux États. Aujourd’hui encore, l’armée turque continue d’utiliser des gaz toxiques achetés à l’Allemagne ces dernières années, en violation de la Convention sur les armes chimiques, pour exterminer les Kurdes en Turquie et prétendument dans le nord de l’Irak et de la Syrie.
L’un des rebondissements ironiques du massacre de Dersim est la participation de Sabiha Gokcen, une fille arménienne orpheline pendant le génocide de 1915 et adoptée par la suite par Atatürk comme sa fille. Elle devient la première femme pilote en Turquie et participe au bombardement de Dersim, rebaptisé Tunceli. On ne sait pas si elle était au courant qu’elle participait au meurtre de ses compatriotes arméniens survivants du génocide, tout comme elle. L’un des deux aéroports d’Istanbul porte son nom, en tant que « héros de guerre ».
Un tribunal turc a statué en mars 2011 que le massacre perpétré par le gouvernement turc à Dersim ne pouvait pas être considéré comme un génocide selon la loi car il n’était pas systématiquement dirigé contre un groupe ethnique. Cependant, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre en 2011, a présenté des excuses pour le massacre de Dersim en 1938. Les excuses d’Erdogan ont été considérées avec suspicion comme une manœuvre opportuniste pour gagner les votes de l’importante population kurde de Turquie contre le principal parti politique d’opposition au gouvernement, le CHP, qui est une continuation du Parti républicain d’Atatürk. Erdogan a décrit le massacre de Dersim “comme l’événement le plus tragique de notre histoire récente”. Il a ajouté que, alors que certains cherchaient à justifier les tueries comme une réponse légitime aux événements sur le terrain, il s’agissait en réalité « d’une opération qui a été planifiée étape par étape….
C’est une catastrophe qu’il convient maintenant d’interroger avec courage. Le parti qui devrait faire face à cet incident n’est pas le Parti de la justice et du développement au pouvoir. C’est le CHP, qui est à l’origine de cette sanglante catastrophe, qui devrait faire face à cet incident. Ces commentaires visaient ostensiblement le chef de l’opposition Kemal Kılıcdaroglu, qui est en fait originaire de Tunceli, et principal adversaire d’Erdogan à l’élection présidentielle de mai 2023. On se demande si Erdogan se serait également excusé pour le génocide arménien s’il y avait des millions d’électeurs arméniens vivant en Turquie aujourd’hui.
Dans l’une des notes de bas de page de son article, Akcam a fait référence à un document du Parlement allemand dans lequel plusieurs membres ont demandé au gouvernement allemand en 2019 les détails de l’achat turc de gaz toxique et d’avions à l’Allemagne nazie.
Des experts allemands en armes chimiques ont également été amenés en Turquie en 1938 pour former les militaires à l’utilisation du gaz toxique. Dans sa réponse, le gouvernement allemand a reconnu « la souffrance des victimes [du Dersim] et de leurs descendants » et a ajouté : « le gouvernement fédéral [allemand] est prêt si les événements de cette époque sont traités par la Turquie pour examiner la participation allemande ».
Bien que ces massacres ne puissent être justifiés en aucune circonstance, le gouvernement turc tentait dans les années 1930 de réprimer l’opposition nationale et d’imposer son règne dans la région de Dersim. Lors d’un discours au parlement le 1er novembre 1936, Atatürk a décrit Dersim comme “le problème intérieur le plus important de la Turquie”. Poursuivant une politique de turquification des minorités ethniques et religieuses, le gouvernement turc a adopté en 1936 la « loi sur l’administration de la province de Tunceli » qui visait à réinstaller la population locale dans d’autres parties de la Turquie. Plus de 50 000 soldats turcs ont été envoyés à Dersim.
Ils ont capturé et pendu les meneurs de la rébellion locale et bombardé et tué sans discrimination des milliers de ses habitants. Même si le gouvernement turc a admis que 13 806 habitants de Dersim ont été tués, certains évaluent le nombre de victimes à 70 000 ou plus. De nombreux survivants ont été déplacés vers d’autres régions du pays et des filles kurdes ont été données à des familles turques pour adoption.
Malheureusement, la Turquie continue de nier ses crimes de masse passés. Le massacre de Dersim n’est qu’un exemple des exterminations de diverses minorités commençant dans l’Empire ottoman et se poursuivant à l’époque de la République de Turquie.
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