« L’existence de la légion arménienne dans l’armée française a été totalement occultée de l’histoire de France »

Հիլտա Չոպոյեան

LYON

« L’existence de la légion arménienne
dans l’armée française a été totalement
occultée de l’histoire de France »

Հիլտա Չոպոյեան

Entretien avec Hilda Tchoboian,

à l’occasion du colloque « Cent ans après le front de l’Est : l’Arménie et le Levant entre guerres
et paix » les 9 et 10 novembre à Lyon

« Nor Haratch » – Qu’est-ce qui motivé l’organisation d’un congrès sur cette période de
l’Histoire ?

Hilda Tchoboian – La principale raison, c’est le centenaire de la proclamation de la Première
République d’Arménie et de l’armistice marquant la fin de la Première Guerre mondiale. Mais
dans le même temps, il y a l’idée de commémorer un autre centenaire que celui du génocide.
Pour les Arméniens, la question de la mémoire ne devrait pas se limiter au seul problème du
génocide. Seulement, jusqu’à présent, elle n’a pas été abordée d’une manière assez large. La
culture représente un point de convergence entre la mémoire et l’Histoire. L’initiative de ce
colloque a pour objectif d’allier ces deux thématiques. La commémoration de l’armistice de la
Première Guerre mondiale va avoir lieu dans quelques jours, mais pour les Arméniens, cet
armistice a une toute autre connotation. A part pour ceux qui ont servi dans l’armée française à
Sedan ou à Verdun, le 11 novembre ne veut rien dire pour le peuple arménien, car celui-ci se
trouvait à l’époque dans le chaos du génocide, et la guerre pour lui n’était pas terminée. Ce
congrès va donc parler de la guerre après la paix.

« NH » – Cette période est aussi étroitement liée à la question de indépendance de
l’Arménie et de la Cilicie…

H. T. – En effet, et plus globalement au désir d’autodétermination du peuple arménien. Sur le
front de la Cilicie, après les accords Sykes-Picot de 1916, les Français ont mis en place la
légion d’Orient – qui s’est ensuite appelée «ºLégion arménienneº» – qui rassemblait près de
5º000 volontaires venus se battre contre la Turquie et l’alliance turco-allemande. La France
avait promis de satisfaire les aspirations nationales arméniennes en assurant la création d’un
Etat arménien en Cilicie sous mandat français. Elle avait notamment un accord avec Boghos
Nubar Pacha pour y regrouper les survivants du génocide et créer un Etat sous l’égide de la
France. Cependant, ce mandat ne s’est pas concrétisé : l’armée française a abandonné la
Cilicie et les volontaires arméniens ont eux aussi quitté leurs positions. Nénamoins, la France a
instauré des mandats en Syrie et au Liban. Ce qui lie historiquement les Arméniens à la France,
c’est précisément cette période. La conférence de paix en 1919 s’est tenue à Paris et la France
était alors l’un des pays vainqueurs de la Grande Guerre.

L’autre problèmatique concerne la politique de la France en Cilicie. Par exemple, l’existence de
la légion arménienne dans l’armée française a été complètement occultée de l’histoire de
France. Et les organisations arméniennes, quant à elles, n’ont jamais pris le soin de ressusciter
cet événement dans la mémoire du peuple arménien. Malgré la reconnaissance du génocide et
la loi sur la pénalisation de sa négation, on a souvent entendu l’idée selon laquelle que la
France n’est en rien redevable à l’Arménie, car elle n’a pas eu de liens historiques directs avec
elle pendant la période du génocide. Ce congrès vient rappeler qu’en accueillant à partir de
1923 les Arméniens en nombre sur son territoire, la France a d’une certaine mnaière tenté
d’effacer sa dette vis-à-vis des Arméniens qui se sont battus dans l’armée française.

« NH » – Il est vrai que ce rappel est important, car lors des discussions parlementaire
sur la loi de pénalisation du négationnisme à l’Assemblée nationale, on a souvent
entendu dire que la France n’avait pas eu de lien direct ou historique avec l’Arménie…

H. T. – La France a abandonné son projet de mandat en Cilicie pour ses intérêts de l’époque, et
cette décision a pesé lourd sur le destin des Arméniens, car son retrait de Cilicie a engendré
une deuxième vague de massacres. Il y a notamment la fameuse épisode de l’armée française
fuyant en cachette la ville de Marache en pleine nuit, en recouvrant les sabots de leurs chevaux
de linge pour que les Arméniens ne les entendent pas partir. Et cette retraite a donné lieu à un
deuxième massacre à Marache, en février 1919.

« NH » – L’organisation de ce congrès est aussi intéressante par rapport à la crise
actuelle en Syrie, un pays frontalier de la Cilicie…

H. T. – La politique impérialiste de la France a eu de sérieuses conséquences en Cilicie, au
Liban, et surtout en Syrie, comme on peut le voir à l’heure actuelle. Ce sujet sera abordé par
Fabrice Balanche, un géographe et professeur à l’Université Lyon-II, également chercheur au
Washington Institute for Near East Policy. Dans le cadre du congrès, un dialogue sera d’ailleurs
organisé le vendredi 9 novembre entre Fabrice Balanche et l’historien Raymond Kévorkian, en
partenariat avec la Bibliothèque Municipale de Lyon. Raymond Kévorkian parlera du mandat
français en Syrie et de l’installation des Arméniens et des minorités dans le pays, et Fabrice
Balanche abordera la politique française et ses conséquences en regard de la crise syrienne.

« NH » – Qui sont les organisateurs du congrès ?

H. T. – Il s’agit de l’ADCARLY (Association de la Culture Arménienne dans la Région
LYonnaise), en partenariat avec le Centre Covcas et la Fondation Bullukian.

« NH » – Les conférences vont-elles être diffusées ?

H. T. – Nous souhaitons les diffuser en direct. Ce ne sera pas possible le premier jour, car la
Bibliothèque Municipale de Lyon ne nous autorise pas à faire une retransmission en direct. Ce
jour-là, les conférences seront donc probablement enregistrées et diffusées par la suite.

Cependant, les conférences du second jour à l’Université Catholique de Lyon seront
retransmises en direct.

Entretien réalisé par

Jiraïr Tcholakian

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