120 mille encerclés : toute une population piégée
le 26 janvier 2023 – NOS LECTEURS ONT LA PAROLE – Lire aussi l’article précédent
Par Dr Vartkès ARZOUMANIAN,
J’aurais tellement voulu ne plus écrire sur ce thème tant injuste et miséreux, qui ne fait que de la peine à tout être humain honnête et vertueux, mais ma conscience tourmentée m’oblige à m’exprimer vivement après tant de jours d’injustice et de désarroi.
Probablement peu d’entre vous savent que depuis plus d’un mois, et plus précisément depuis le 12 décembre 2022, des « activistes » partisans aux forces occupantes de l’armée de l’Azerbaïdjan bloquent la région dite du « corridor de Berdzor » qui est le seul passage qui relie l’Arménie à l’enclave autonome de l’Artsakh (Haut-Karabakh) de majorité arménienne.
Depuis, toute une population de 120 mille personnes est piégée, et selon les sources de bonne foi, les assiégés sont démunis d’aliments et de nutrition rudimentaire. Les hôpitaux ne peuvent plus accepter les malades, à cause de la pénurie des médicaments. L’électricité est presque illusoire, ainsi que le gaz pour le réchauffement en ces temps durs d’hiver.
Il est à noter que contrairement à ce que l’on pourrait penser, la région n’est pas en état de guerre.
La cause est simple, l’Azerbaïdjan, enhardi par son succès militaire de l’automne 2020, veut envahir toute l’enclave et ne veut donner aucun statut spécial, comme jadis promis, à cette province.
La fin de ce blocus ne s’annonce pas pour demain. En se référant au président azerbaïdjanais Ilham Aliev, la solution est simple, « les Arméniens peuvent prendre la citoyenneté azerbaïdjanaise ou bien tout simplement partir, personne ne les empêchera, ils peuvent partir dans les camions des casques bleus, et l’année 2023 est celle de la dernière chance, car en 2025 la mission des soldats de la paix prendra fin ». Comme il est honnête. Il invite la population autochtone à laisser ses terres et ses biens ancestraux, et à vider la région pour faciliter à l’Azerbaïdjan la conquête des terres arméniennes avant de recommencer ses pogroms.
Il est intéressant de rappeler que le grand parrain de cette paix instaurée est la Russie. Les soldats sur les lieux qui supervisent sont des Russes, et nous connaissons tous l’état économique et militaire déplorable de la Russie, à cause de la guerre en Ukraine. Une guerre qui semble être usurpatrice pour la Russie, et qui de facto, l’oblige à mendier « l’amitié » de l’Azerbaïdjan et surtout aussi celle de son « grand frère » ou bien le « père spirituel de l’Azerbaïdjan » qui est la Turquie (membre de l’OTAN).
Ironiquement, le conflit de l’Artsakh (Haut-Karabakh) est le seul point qui regroupe actuellement la Russie, la Grande-Bretagne, la Turquie et Israël dans le même camp de l’Azerbaïdjan, tous ayant des intérêts communs qui sont le gaz ou les vastes ressources en énergie de Bakou.
Lorsque le monde entier est occupé par la guerre en Ukraine, qui veut s’intéresser à cette petite enclave arménienne ?
Cette petite nation arménienne qui n’a ni de pétrole ni de gaz à offrir à ces grandes puissances affamées ?
C’est vrai qu’en politique la raison du plus fort est toujours la meilleure, comme dit l’expression populaire, et le camp de l’Azerbaïdjan est le camp le plus fort (85 millions de Turcs et 10 millions d’Azerbaïdjanais, contre 2,7 millions d’Arméniens). C’est aussi vrai qu’en politique il n’y a pas d’amis permanents, il y a que des intérêts à poursuivre, ce qui explique les nouvelles alliances formées autour de l’Azerbaïdjan, et aussi l’absence des alliés autour de l’Arménie. Et voici que l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, Israël, la Russie, la Grande-Bretagne (et peut-être d’autres grandes puissances), trouve le moment opportun de conquérir tout l’Artsakh (Haut-Karabakh) et aussi l’Arménie, en créant des prétextes comme quoi l’Arménie n’a jamais existé dans le passé.
Les pages de l’histoire contemporaine sont pleines de ces paradoxes basés sur des prétextes, des mensonges et des justifications inouïes, comme par exemple les raisons derrière la guerre du Vietnam, celles de l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, la guerre en Libye pour ne mentionner que quelques-unes.
En tant qu’activiste humanitaire, ce ne sont pas les longues analyses politiques ni les études géopolitiques qui vont clarifier la situation régnante, car comme dans tout conflit il y a toujours deux entités, qui sont l’envahisseur d’une part et les autochtones de l’autre, les pacifistes et les belligérants, les civilisés et les barbares. Dans ce cas, les Arméniens sont les autochtones, les pacifistes et les civilisés. Rien à discuter, point barre !
C’est vrai que les puissances qui soutiennent les conquérants sont aveuglées par leurs intérêts imminents, mais ils oublient deux choses fondamentales : premièrement que malgré toute cette injustice flagrante et indéniable, il y a toujours ce qui s’appelle la conscience universelle qui existe dûment, malgré toute leur désinformation médiatique tant élaborée ; deuxièmement, ils oublient que cette nation qu’ils essayent de détruire et d’annihiler est une des rares qui date depuis le temps des ténèbres comme aurait dit l’expression, une nation de trois millénaires et qui a survécu plusieurs massacres et génocides. Une petite nation en nombre, mais grandiose, imposante en culture et en contribution humanitaire.
Je voudrais terminer mon texte en espérant qu’il y aura toujours des nations cherchant la vérité et la justice suprême. Je veux tant garder l’espoir à propos de cette conscience collective humaine. Pour moi, il n’y a qu’une race dans ce monde et c’est la race humaine, et il faut s’entraider et ne pas s’entretuer.
Les guerres et les génocides ne font que ternir le visage de l’humanité, ainsi qu’approfondir les plaies et propager l’hostilité. Il faut à tout prix éviter la violence, car la violence ne fait qu’engendrer de la violence.
Tout conflit peut se résoudre et trouver une solution équitable, tant qu’il y a de bonnes intentions chez les deux adversaires. Trouver une solution pacifique n’est pas seulement un devoir à exercer, mais elle est aussi une contribution personnelle à rendre ce monde meilleur.
Dans toutes les religions, faire la paix, œuvrer pour la paix est une action bénie, et la violence, elle, est toujours à éluder, à esquiver.
L’humanité souffre lorsqu’il y a des guerres. Où en sommes-nous aujourd’hui avec cette humanité, lorsqu’on parle de réussites et de progrès gigantesques en technologie, en médecine, des pas de géants dans tous les domaines de recherche, mais on n’arrive toujours pas à garantir le plus fondamental, le plus cardinal, le plus primordial de tout qui touche au respect de l’homme et au droit d’existence de l’autrui.
Les pages de l’histoire montrent que la nation arménienne a toujours été le héraut de la paix, du respect mutuel et de la coexistence entre nations. Où en sont les belligérants ? Les bouquins de l’histoire sont là pour témoigner de leur parcours criminel.
Dr Vartkès ARZOUMANIAN
Abou Dhabi
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